Liminalité

Monsieur R.

A la suite de ces nouvelles, un climat des plus sombres s’installe. Suite aux interrogations des deux autres Mages, Jan finit par révéler que son commanditaire n’est autre que Cassandra Dummy, ce qui ne manque pas de plonger Irena dans une certaine perplexité, la poussant à brièvement mentionner son lien avec l’astrologue anglaise, ainsi que la Société elle-même. Helga propose alors d’examiner la correspondance de Jakob afin de voir s’il était en relation avec Cassandra, ou encore avec d’autres personnes d’intérêt. Dans le bureau de Jakob, il s’avère que sur les trois portefeuilles contenant sa correspondance, l’un est manquant. Irena se souvient que dans sa vision, rien ne manquait: c’est donc qu’il a été dérobé entre temps.

Le premier portefeuille contient les lettres de Jakob à partir du 22 mars 1922, ainsi que les commandes de la statue d’ange en bois (commandée en février, arrivée en avril). C’est là que commencent également ses relations suivies avec des membres de la Société de Diogène — les premières lettres d’Irena apparaissent au cours de l’année 1924. Helga, Jan et Irena peuvent remarquer qu’en 1922, la majeure partie des correspondants de Jakob semblent avoir confiance en la Société, signent de leurs noms et prénoms, à l’exception d’une personne avec laquelle Jakob avait une relation assez suivie et qui signait tous ses courriers de “Votre ami dévoué, Monsieur R.”, dans un style littéraire d’érudit plus proche de celui du XVIIIème ou XIXème siècle que du début du XXème.

Helga annonce qu’elle va aller chercher “un ami”. Jan et Irena continuent d’examiner les portefeuilles restants, et déterminent que celui qui manque contenait des lettres de 1923 à 1926 et sans doute aussi la plupart de ses commandes de matières premières. Le plus récent est toujours là. Ils y trouvent, datée du 19 mai 1926, une lettre de Monsieur R. mentionnant Cassandra Dummy, que Jakob aurait rencontrée une fois; Monsieur R. toutefois lui aurait conseillé de se méfier d’elle et de son désintéressement “très suspect” qui “pourrait réduire à néant tous leurs efforts”. Irena est prise d’un soupçon: et si ce mystérieux Monsieur R. était en fait l’un des sept dirigeants secrets de la Société de Diogène?

Helga revient alors dans le bureau, portant la martre déjà aperçue précédemment. Cette fois, il ne fait aucune doute qu’une très légère Sensation se dégage de l’animal. La Verbena le présente de fait comme étant “Frère Piotr”, anciennement Mage et moine russe du XVIème siècle, malencontreusement incarné dans le corps de cette martre, et toujours Eveillé. Frère Piotr semble ne pas apprécier la lettre de Monsieur R; Helga lui donne un livre, et il y désigne des lettres afin de former les mots suivants: intuition — mauvais. Il ne peut en dire plus à ce sujet, mais confirme que l’écriture de cet homme pourrait effectivement appartenir à un lettré ou un moine, et affirme que la lampe fort étrange sur le bureau serait en rapport avec R. Recherche faite, dans une lettre de 1926, Monsieur R. demande si Jakob a bien reçu “le cadeau”.

Rendez-vous nocturne

L’heure du rendez-vous approche de plus en plus. Jan et Irena décident d’un commun accord de ne pas laisser Helga y aller seule; devant leur détermination, la Verbena accepte de les laisser la suivre à une certaine distance. Chacun des trois Mages se prépare à partir. Helga remet à Irena un plan de Vienne en précisant qu’elle suivra les petites rues en tâchant d’anticiper le passage des calèches; Jan s’arrange pour établir un lien psychique avec elle afin de pouvoir garder le contact.

Un peu avant l’heure du rendez-vous, tous trois arrivent dans le quartier hongrois, plutôt déserté, aux alentours du pont de Brandenburg. A l’exception d’un unique carosse qui passe en trombe en direction du centre-ville, il n’y a pas âme qui vive, et certaines lanternes ne sont même pas allumées. Helga descend sur la berge, tandis que Jan et Irena l’observent de loin; l’Akashite est agité, et dit qu’il faut se rapprocher, car quelque chose ne va pas. L’heure du rendez-vous est maintenant passée, et le contact d’Helga n’est toujours pas là.

Sous le pont, la Verbena découvre un pistolet et des douilles abandonnés sur le sol, ainsi que la présence fugace d’un esprit très courroucé, voire malfaisant; en levant la tête, elle s’aperçoit avec horreur qu’une large traînée de sang s’étend sous l’arche du pont, comme si quelqu’un y avait été écrasé, et pourtant, aucun corps n’est visible. L’endroit tout entier dégage selon Irena une impression des plus malsaines; quelque chose de très violent s’est déroulé ici, et la Réalité toute entière en a été bouleversée. Jan, lui, parvient à déterminer que les balles ont été tirées dans tous les sens, comme sous le coup de la panique, et que la traînée de sang ne correspond pas simplement à un corps qui aurait été projeté contre le pont. Les trois Mages décident alors de s’éloigner très vite, avant d’être découverts sur les lieux et accusés à tort de ce qui s’y est passé, quelle que soit cette chose, car la victime était très certainement la personne tenant l’arme, et qui plus est le contact d’Helga avec les Magistères.

Dans une ruelle proche, ils tentent d’analyser la situation plus au clair. Le contact avait dû arriver — et se faire attaquer? — bien avant l’heure du rendez-vous, car dans le cas contraire, les Mages auraient entendu les détonations. Nul doute que les Tremere s’en inquiéteront assez vite. En attendant, Helga, Jan et Irena s’éloignent encore plus, en direction du Stefansdom, afin de se réfugier temporairement dans le mausolée de Jakob. C’est en sortant d’une ruelle, aux abords de la cathédrale, que Jan aperçoit un homme étrange en habit à queue de pie noir, portant un chapeau-claque, une canne à pommeau et un masque noir et blanc; l’homme le salue, puis va vers le Stefansdom sans quitter l’Akashite des yeux. Helga et Irena ne l’ont apparemment pas remarqué.

Jan se coule discrètement jusqu’à la porte de la cathédrale, et revient en annonçant qu’un office y est tenu en ce moment-même. Helga effectue alors un rituel afin de permettre aux trois Mages de marcher jusqu’au cimetière, à l’arrière, sans laisser de traces dans la neige. “Comme par hasard”, la grille est ouverte. Jan commence à monter la garde; Helga se rend dans le mausolée afin de prier, et Irena s’emploie à recopier les inscriptions en latin dans l’espoir d’y trouver un quelconque message ou indice. Achevant leur tâche, Jan et Irena décident de rejoindre Helga à l’intérieur, mais soudain, sur les murs extérieurs du mausolée, un rayon de lune fait apparaître trois mots: “Lux veritatis est”, la devise même de la Société de Diogène. Puis la lumière traverse la fenêtre du mausolée pour venir frapper la dalle devant Helga.

Les lèvres de la statue de l’ange se mettent alors à bouger, prononçant avec la voix de Jakob des mots dans une langue inconnue. Le seul membre du groupe a en comprendre une partie est Irena, car il s’agit d’hyperboréen, une langue ancienne et disparue que seule une quinzaine de personnes au monde, dont Jakob et elle-même, sont capables de parler. Abasourdie, elle tente de prendre note des paroles de l’ange autant que faire se peut, et dont le sens général n’est ni plus ni moins qu’un sinistre avertissement. Cet étrange phénomène se termine bientôt, et c’est aux alentours d’une heure du matin que le petit groupe quitte enfin le mausolée afin de retourner au palais Melvany.

En sortant, Irena ne peut s’empêcher de mentionner à Helga que son époux était un génie. Une voix inconnue lui fait aussitôt écho: “Je crois que vous avez tout à fait raison.” Les trois mages découvrent alors, debout devant eux, l’homme chauve au corbeau dont l’Hermétiste avait eu la vision le matin même. Il s’avance, dévoilant sa longue barbiche sombre et ses vêtements, semblables à une robe de bure, pour saluer Helga, qui le salue en retour d’une voix très froide. La réplique suivante de l’inconnu est des plus étranges:

“Avant toute chose, avez-vous vu le Roi en Jaune?”