Orpheus Ex Machina

Ce qu’un rêve a montré

Le lendemain matin, c’est dans une atmosphère des plus moroses que se passe le petit-déjeuner. Dehors, Piotr a encore trouvé deux autres morceaux de cristal dans le jardin. Jan n’a pas bien dormi, et mentionne brièvement à Irena qu’il a été attaqué la veille, peut-être bien par quelqu’un qu’il connaît. Il révèle de plus qu’il a fait un rêve curieux cette nuit, dans lequel il a se trouvait au Rotenbüschel et y rencontrait Frère Piotr, dans la même chambre que les trois mages avaient eu l’intention de visiter. La martre a prévenu Jan d’une présence agressive, puis a disparu; dans le rêve, elle parlait d’une voix qui trahissait un âge fort avancé. Helga explique alors que Piotr était jadis un être humain, un mage, religieux russe de son état, qui vivait au seizième siècle. A la suite d’une faute qu’il a commise, mais dont il ne se rappelle plus, il a été piégé sous la forme d’une martre, peut-être par suite d’un contrecoup de Paradoxe.

En ce qui concerne le rêve, Piotr “dit” qu’il a jugé bon de suivre la “route des rêves” à la suite de Jan cette nuit-là. Au Rotenbüschel, il a constaté cette présence, quasi-similaire à celle de l’homme qui a attaqué Jan à la gare, et à jugé bon de prévenir l’Akashite. En sentant cette présence, il a également eu la vision fugace de vêtements sombres lui rappelant une sorte d’uniforme; cette présence savait en tous cas se dissimuler, à la manière d’un assassin. Jan ajoute que cet attaquant à la gare était quelqu’un qu’il avait connu de par le passé, pas revu depuis presque dix ans, mais qui normalement ne devrait plus lui être hostile. Helga demande si cette personne aurait une raison de tuer Jan. Ce dernier secoue la tête: de par le passé, c’était même plutôt le contraire, l’homme lui avait sauvé plusieurs fois la vie. Chose plus étonnante encore, il était très compétent dans son “art”, et s’il voulait vraiment tuer Jan, celui-ci serait mort à l’heure qu’il est. Cette attaque était-elle donc une forme d’avertissement, et non une véritable tentative de meurtre? L’Akashite essaye de se remémorer d’autres détails. En tous cas, cet agresseur n’est selon lui pas un mage: il est simplement très doué, et doté de capacités au dessus de la normale.

Au cours de son voyage dans les rêves, Jan a vu quelque chose d’autre: au Rotenbüschel, l’homme qui était parti brusquement en voyant arriver les trois mages était en fait un homme de Van Ruprecht, un de ceux qui s’étaient trouvés avec lui au Stefansdom. D’après Helga, Van Ruprecht est issu d’une famille austro-allemande de la noblesse viennoise. C’est un Technocrate, un ingénieur en mécanique, qui était dans les troupes du génie pendant la Grande Guerre. Depuis la mort de Jakob, il a fait montre d’un comportement très étrange. Pendant que la Verbena parle, Jan a récupéré les deux morceaux de cristal et les assemble avec les autres, obtenant une sorte d’oeur dont il manque la partie supérieure (environ un cinquième de la masse totale). Ensuite, Irena parle à ses deux amis de sa soirée avec le Marquis, des informations qu’elle a obtenues et de sa vision au moment de partir.

Rykov, Monsieur R. et l’oeuf

Les trois mages se retrouvent avec, comme de coutume, plus de questions que de réponses. Afin de mieux démêler tout cela, ils s’emploient à tout d’abord récapituler ce qu’ils ont à faire. Tout d’abord, que faire au sujet du train, et qui est ce Monsieur Rykov? Helga se rend rapidement dans la bibliothèque pour voir si elle peut y trouver quelques informations, prenant note au passage de se renseigner également au consulat soviétique. Piotr l’aide, et fnit par trouver ce nom dans un bottin mondain: la famille Rykov, noble, a perdu tous ses biens et cessé d’exister (morts ou disparus) après la Révolution de 1917. Helga va ensuite chercher les lettres de Jakob, espérant y trouver plus de choses sur “Monsieur R.” (puisqu’il y a maintenant deux candidats potentiels à ce titre: Rykov et Remanov).

Jan et Irena, eux, montent dans le bureau de Jakob, d’où ils pourront voir le jardin ainsi que tous les endroits où se trouvaient les éclats de cristal, et ainsi utiliser les vecteurs de leurs trajectoires respectives afin de déterminer où se trouvait l’oeuf qui a explosé. D’après leurs calculs, l’oeuf semble avoir eu pour emplacement un bosquet situé non loin de l’endroit où se cachait Lars. Lorsqu’ils vont voir, ils découvrent que le bosquet entoure en fait une statue intitulée “Les Volutes du Temps”. S’approchant de la statue, Jan est saisi par une impression très subtile. Il place sa main sur la bourse contenant l’oeuf: une très légère vague de chaleur en émane. Il pose l’oeuf en face de lui, et fait signe à Irena de le rejoindre. En cherchant un peu, tous deux exhument, enfouis sous de la mousse et des feuilles, trois éclats éparpillés en arc de cercle autour de la statue, et qui, une fois les quatorze morceaux assemblés, complètement parfaitement l’oeuf — mais maintenant, le peu d’énergie magyque qui y restait semble se dissiper. Cherchant encore, les deux mages finissent par trouver le centre de l’explosion. L’oeuf est en fait apparu au sommet de la statue, ou du moins, il ne peut en être autrement, car il ne se trouve dans la pierre nulle cavité, bouton ou autre expliquant où il aurait pu se trouver autrement. L’oeuf aurait-il servi de tampon contre les énergies paradoxales? Ou serait-il lié au mystérieux Lhop-Lhop? Cela voudrait-il dire que c’est lui qui serait intervenu cette nuit-là? Ou encore, serait-ce un sort de protection laissé là par Jakob?

Dans le bureau, Helga trouve enfin, perdue dans un florilège de termes obscurs dans une des lettres, une information sur Monsieur R.: au début de l’année 1926, Jakob a essayé de lui rendre visite, peu de temps, en fait, avant d’entrer avec Cassandra. Monsieur R. l’aurait alors dissuadé de venir: “Là où je suis, il serait très difficile, voire quasiment impossible, de se rencontrer. La Verbena rejoint ses amis pour leur montrer la lettre, puis se saisit du téléphone pour rappeler le musée des Beaux-Arts et demander à photographier le masque sculpté par son mari, ainsi que l’oeuvre de Stanis. Mais quand elle mentionne la possibilité de contacter ledit Remanov pour lui demander la permission, l’attitude du conservateur se refroidit soudainement, et il essaye même de la faire renoncer à ce projet. Par contre, le nom de Rykov (Helga prétend l’avoir vu mentionné dans la correspondance de Jakob) ne lui dit rien; après un court moment de réflexion, il dit qu’il a toutefois entendu parler d’un certain Alekseï Rykov, un hommé d’état bolchévik, et secrétaire d’Etat assez haut placé dans la hiérarchie: en effet, il travaille à la Défense soviétique. Au vu de ces informations, Jan, non sans une certaine hésitation, finit par révéler que l’homme de la gare avait appartenu, tout comme lui-même, à un groupe terroriste adepte des attentats, combattant en faveur des Russes blancs. Ce groupe se nommait “l’Aube Blanche”, et s’il existe encore, peut-être a-t-il un lien avec ce Rykov, même si c’est pour l’attaquer? La présence de l’agresseur laisserait en tous cas penser que ce groupe est à Vienne en ce moment. Jan ajoute qu’il l’avait quitté à la suite d’un conflit avec un de ses membres en particulier: si celui- était présent, ce serait un gros problème…

Quant à Irena, elle parcourt les lettres de Jakob à la recherche d’un code dissimulé sous le couvert d’une correspondance plus banale. Elle trouve en fait quelque chose dans les cinq dernières lettres de Monsieur R: sur chacune d’entre elles, tracée de la même écriture, se trouve un élément d’une phrase en latin: “Vividarium / et / Arcadia / et / Viator” (= dans le jardin d’Arcadie dort le Messager). Une fois les trois compagnons réunis, elle leur parle de ce message. Tout ce qu’ils savent pour le moment, c’est que le nom d’Arcadia renvoie à une région de Grèce, mais aussi au nom d’un Domaine Umbral associé aux Fées.

Retour au mausolée

Après une rapide collation, les trois mages prennent la berline pour se rendre au mausolée de Jakob. Après les événements du parc du Prater et la trahison de Grygor, Helga craint pour la sécurité de la pierre qu’elle a laissé là-bas, en dépit des protections mises en place. Hélas, elle a raison: au cimetière, les portes du mausolée n’ont certes pas été forcées, et rien n’a changé, à première vue, mais lorsqu’elle y pénètre, Helga sent que quelque chose manque. La vasque où se trouvait l’amulette a tout bonnement disparu. Jan et Irena ne peuvent que constater l’irréparable, eux aussi. Quand Helga se relève, un violent haut-le-coeur saisit Piotr, qui quitte sur-le-champ le mausolée: il a senti les effluves de magye qui demeurent encore ici, ténues, mais hostiles.

Peu rassurée, Irena trace un cercle autour d’elle pour essayer de “voir” dans le temps ce qui s’est exactement passé. Alors que la vision s’impose à elle, la ramenant à la nuit de l’incendie, elle perçoit le cliquetis d’une clé qu’on insère frénétiquement dans une serrure, comme à tâtons. La porte du mausolée s’ouvre, accompagnée par un gémissement évoquant celui d’une âme damnée. Un homme hirsute et musclé muni d’une lampe-tempête s’avance, traînant les pieds; le gémissement de souffrance est le sien, comme si avancer ici le soumettait à une douleur atroce. De la sueur lui sur son front ridé, et ses yeux rougis sont écarquillés d’horreur. Irena ne le reconnaît pas. Il porte des vêtements des plus banals, de ceux qui sont communs aux membres de la classe ouvrière, ainsi qu’un tablier de cuir. Il s’arrête durant quelques secondes, puis une voix s’élève, celle de Grygor, qui lui ordonne de continuer. L’homme reprend à nouveau sa marche, mécaniquement, se dirige vers la vasque, la soulève enfin pour la traîner dehors. Alors résonne le rire de Grygor, au moment où la porte se referme sur lui…

Irena rouvre les yeux et informe immédiatement ses amis de ce qu’elle a vu. Le mausolée n’est plus un lieu sûr pour la seconde pierre, d’autant plus que Grygor semble prendre un malin plaisir à attendre que ce soit les trois mages qui mettent la main sur ce qu’il désire, afin de le leur voler ensuite. L’Hermétiste suggère de placer plusieurs enchantements autour de la pierre, afin que dans le pire des cas, Grygor ne puisse s’en servir, et d’inclure Piotr parmi les officiants du rituel: ce composant-, Grygor n’irait certainement pas le soupçonner! De plus, cela conforte la jeune femme dans une autre décision: il va falloir qu’elle apprenne, d’une façon ou d’une autre, à ériger de solides défenses mentales, comme en est capable Jan, afin de se protéger contre leur ennemi.

Lorsqu’ils se remettent en route, les trois compagnons aperçoivent, sur les marches du Stefansdom, la silhouette de Frère Fahlen qui semble les observer… comme si celui-si savait déjà tout ce qui s’était passé dans le cimetière…

Nouvelle visite au Rotenbüschel

Wilhelm a pour consigne de mener le fiacre au Rotenbüschel, afin que les mages puissent tirer au clair l’affaire du rêve. En approchant du quartier où se trouve l’auberge, Jan ressent une drôle de sensation, comme celle de la nuit précédente, qui commence à réapparaître peu à peu. Il lui semble percevoir toute une série de “filaments”, et parmi eux un fil menant sans doute à un danger. Il demande alors à Wilhelm de le déposer à quelques minutes du Rotenbüschel et d’attendre un peu, afin qu’il puisse prendre de l’avance et s’introduire dans le bâtiment par la porte de derrière. Irena et Helga suivront un peu plus tard, pour ne pas être vues entrant en sa compagnie. Irena comprend qu’il y a du danger, et se concentre sur les flux entropiques qui lui permettraient de déterminer, elle aussi, si un danger rôde.

Il est environ 16h15 lorsque Jan arrive à la porte de service. Quelqu’un arrive, et il doit se dissimuler dans une encoignure, avant de se rendre compte que ce n’est que l’aubergiste. Il se montre à lui, et après quelques questions, Jan apprend que le commerçant hollandais vient de partir, mais que l’un de ses amis, venu régler son ardoise, est encore là. Jan passe par le couloir du fond pour aller observer discrètement la grande salle. Il aperçoit, en grande discussion avec la patronne, un homme en long manteau noir, aux mains gantées, portant un chapeau à large bord, en train de déposer des pièces dans les mains de la femme; leur conversation se déroule dans ce qui semble être du français. Jan ne se montre pas et essaye d’en savoir plus, mais à ce moment, l’aubergiste arrive derrière lui et, ne pensant pas à mal, demande naïvement: “Ah, Monsieur Peter, vous êtes encore là?” L’homme au comptoir se retourne alors: son visage est celui de l’aggresseur que Jan a combattu dans son rêve, la veille! Sans autre forme de procès, l’inconnu tire une épée de sous son manteau et se jette sur Jan, le forçant à engager le combat.

Jan n’a que son couteau de tranchée pour se défendre, mais il s’aquitte de cela avec brio. Au même moment, à plusieurs centaines de mètres de là, Irena sent les flux entropiques se tordre, et dit à Wilhelm de vite se rendre au Rotenbüschel. Dans la salle, la femme de l’aubergiste, éberluée, supplie les deux hommes d’arrêter, mais aucun d’eux ne semble l’entendre, trop concentrés sur leur affrontement. A plusieurs reprises, Jan manque d’être touché; il esquive toutefois chaque coup, et donne bien du fil à retordre à son adversaire, qui ne se soucie nullement des dégâts qu’il cause au mobilier à chacune de ses attaques, ni des exclamations de frayeur des clients.

Soudain, la porte de l’auberge s’ouvre à la volée, et une silhouette se découpe sur son seuil: il s’agit de l’homme qui a tiré sur Jan à la gare, un homme que Jan connaît sous le nom de “Spin”. Il fait deux pas en avant et tire, lui aussi de sous son long manteau, un fusil à lunette qu’il braque sur l’Akashite, avant d’ordonner: “On a assez perdu de temps ici. Gant, retourne à la voiture.” A ces mots, l’adversaire de Jan s’écrie: “Mais c’est Jan Peter!” Et son compagnon de répéter qu’ils n’ont pas de temps à perdre ici. Le dénommé Gant, bien à contre-coeur, obéit, range sa lame et sort du bâtiment d’un pas rageur. Spin, son arme toujours braquée sur Jan, dit à celui-ci de ne pas bouger; puis, relevant légèrement son fusil, lui conseille de quitter la ville maintenant, avant d’emboîter le pas à Gant. C’est sur ces entrefaites qu’arrive la berline de Helga, juste à temps pour que ses occupantes puissent voir une voiture noire démarrer en trombe; Helga remarque tout juste qu’une silhouette, similaire à celle de l’homme qui a attaqué Jan, s’y glisse. La portière se referme et la voiture s’en va. Irena, pour qui ce véhicule est au centre de la perturbation entropique, a tout juste le temps de prendre note de la plaque d’immatriculation: NVS115.

Les hommes en noir

Les deux femmes descendent de la berline. Helga dit à Wilhelm d’aller immédiatement se renseigner, sous un faux prétexte, sur cette plaque, puis elles rejoignent Jan, qui discute avec la tenancière au comptoir; quand il voit arriver Irena, il lui lance une pièce: un louis d’or, très légèrement enchanté, pris dans l’argent avec lequel Gant a payé. Puis, attirant l’attention de la patronne sur son mari, Jan laisse le couple aller “s’expliquer” dans la cuisine sans prêter attention aux nouvelles arrivantes. Les trois mages restent seuls… avec l’argent et le registre. Helga paie de plus une tournée afin que personne dans la salle ne s’avise de regarder ce qu’ils vont faire. Jan, qui se tient les côtes (il a reçu un coup du pommeau de l’épée de Gant), reconnaît un nom dans le registre: l’homme qui était venu prendre une chambre avait signé, en hollandais, “Epervier”.

La patronne revient seule, empoche les louis d’or et se dirige vers nous. Helga explique alors qu’Irena a examiné les pièces et a déterminé qu’elles étaient fausses: les poinçons lui permettent d’affirmer cela. Et en effet, lorsque la femme mord la pièce, celle-ci se tord légèrement. Constatant qu’elle est bien fausse, elle la jette avec dégoût sur la table la plus proche. Puis, interrogée, elle révèle qu’il y avait souvent des gens vêtus de noirs qui allaient et venaient dans la chambre de cet “Epervier”. Elle dit que l’homme qui a attaqué Jan s’appelait Melville Gant. Quant au troisième, qui venait surtout le soir, elle ne connaît pas son nom. Au moment où elle le mentionne, Jan (qui pendant ce temps lisait discrètement ses pensées de surface) perçoit dans son esprit des bris de verre éparpillés. La femme est soudain prise d’un mal de tête, “trop de soucis”, dit-elle, et met fin à la conversation.

Pourquoi ces vêtements, ces réunions nocturnes, ces louis d’or, se demande Irena? On dirait que ces hommes essaient justement de se faire remarquer, d’apparaître comme louches… L’enchantement sur la pièce, de plus, est de ceux qui permettent de faire passer un métal pour un autre: il y a donc au moins un mage parmi eux. Tout cela ne fait décidément aucun sens pour Jan; ce n’était pas dans les habitudes de ce groupe tel qu’il l’a connu.