Orpheus Ex Machina

Le louis d’or enchanté

Une fois rentrés au manoir Melvany, et un rapide dîner avalé, nos trois amis examinent plus attentivement le louis d’or qu’ils ont récupéré à l’auberge. Selon Helga, c’est une Verbena qui l’aurait enchanté; une analyse magyque plus poussée, effectuée à l’aide d’une carte, révèle alors que l’enchanteur en question aurait procédé à un tel sortilège dans un endroit situé au nord de Vienne. La pièce qui avait été suspendue à un fil tombe alors sur la carte, glissant lentement vers le nord pour traverser la frontière autrichienne, puis russe. La tension devient de plus en plus palpable, et les trois mages se rendent compte qu’il sont incapables de détacher leurs mains de la carte. Piotr, à la fois effrayé et en colère, saute sur la table et envoie voler le louis à travers le salon, au moment exact où une voix féminine à l’accent hongrois commençait à psalmodier dans leurs pensées. Une sensation de brûlure intense traverse les esprits de Helga, Jan et Irena; la pièce roule au sol, non sans avoir laissé une longue traînée noirâtre là où elle est passée sur la carte. Les trois mages parviennent à briser le contact, percevant tout juste encore la voix qui leur dit: “Maintenant, vous allez oublier tout cela.” Sur le sol, une flamme bleuâtre est en train de consumer le louis d’or, dont il ne reste bientôt plus qu’un vague morceau de métal noirci.

De toute évidence, la pièce portait un second enchantement, un piège destiné à effacer toute trace des hommes en manteaux noirs de l’esprit de ceux qui ont été en contact avec eux. C’est peut-être pour cette raison qu’ils se souciaient bien peu d’être vus? Mais cela n’est pas foncièrement logique: pourquoi aller aussi loin, pourquoi risquer un contrecoup des forces du Paradoxe, alors qu’il suffirait d’être discrets? Le sortilège placé sur le louis se serait intensifié au fil des jours, avant de se libérer d’un seul coup pour affecter alors plusieurs dizaines de personnes… L’enchanteresse serait-elle de fait un Maraudeur, qui ne craindrait pas un le Paradoxe? Selon Jan, à l’époque, plusieurs de ses “camarades” pratiquaient ce qui semblait être une forme de magie, mais différente de la sienne. Ceci dit, il n’avait non plus jamais souffert d’un contrecoup à leur place, ce qui tendrait à indiquer qu’il s’agirait peut-être de “simple” sorciers.

Jan mentionne alors une ancienne camarade de l’Aube Blanche, une certaine Vorzheva, surnommée “la Bruja” – il révèle ainsi par là même qu’il avait appartenu lui aussi à ce groupe. Ce nom ne dit rien à Helga, qui se rend alors dans sa chambre afin d’envoyer le plus vite possible un signal à d’autres Verbenas et tenter de retrouver cette femme qui est sans doute membre de leur Tradition. Hélas, dans sa précipitation, elle néglige de prendre quelques précautions élémentaires, et se rend compte que l’appel lancé à ses compatriotes va très certainement attirer l’attention de la Bruja elle-même…

Coup de téléphone

Pendant ce temps, Jan veut essayer de téléphoner à Aleksei Rykov. Irena lui apporte son aide pour faire en sorte que Jan obtienne “par hasard, par un faux numéro de téléphone”, l’endroit où réside le secrétaire d’Etat soviétique en ce cmment. Au bout de quelques sonneries, Rykov en personne décroche. Jan se présente sous le nom de “Monsieur Kotts” et lui annonce qu’il a des renseignements à lui fournir: l’Aube Blanche est à Vienne (il cite le nom de Spin, un de ses anciens membres entraperçu dans le capitale), et ajoute que ce ne sont pas des menaces, mais un désir de sa part de protéger Rykov. Jan connaît bien leurs méthodes, et pourrait devenir une pièce maîtresse dans un tel filet de protection. Tout ce qu’il veut en échange, c’est de pouvoir voyager à bord de l’Orient-Express en compagnie de “deux amies”.

Rykov, à demi convaincu par les détails révélés par Jan, qui prouvent que ce ne sont pas des paroles en l’air, demande à réfléchir. Il voudrait un numéro pour pouvoir le rappeler. Usant de ses connaissances du hasard et des coïncidences, Irena trace un cercle magyque autour du téléphone et parvient à mettre en place un faux numéro qui atteindrait directement la ligne du palais Melvany, sans lui être officiellement attribué.

Manifestation

Décision est ensuite prise d’essayer d’entrer en contact avec le mystérieux Lhop-Lhop. Les trois mages se rendent dans le jardin, près de la statue servant de point focal. Helga y apporte le bas-relief qu’elle gardait dans sa chambre. Ils se munissent aussi des symboles figurant sur le blason des Melvany (trois glands, une hache et une lanterne), et les accrochent aux excroissances de la statue. A ce moment, le vent hivernal semble faiblir. Helga place aussi des fougères autour de la statue, puis allume la lanterne, ainsi que des bougies, délimitant ainsi un petit périmètre, en prononçant des paroles rituelles. Elle implore Jakob de manifester sa présence pour les aider. Une des bougies commence alors à perdre tout éclat, suivie d’une autre, puis encore une autre…

Une présence se fait soudain sentir non loin d’eux, puis des bruits de pas se mettent à résonner lentement. Pourtant, ils n’aperçoivent aucune silhouette. La température baisse de plus en plus. La présence devient ancienne, neutre et pourtant brutale: une force de la Nature approche, alors même qu’une silhouette fuligineuse se met à danser, informe, derrière le chêne tout proche. Un long gémissement s’élève; la dernière bougie s’éteint. Le temps semble littéralement s’arrêter, les couleurs disparaissent petit à petit, tandis que la statue-arbre se tord, puis se sépare en deux. Derrière, les trois mages distinguent maintenant le domaine Melvany, mais un domaine aux formes et aux couleurs défiant toute description: un ciel pourpre, plombé de nuages informes, des arbres déformés, sans fleurs ni feuilles. Partout autour d’eux s’élèvent des pierres tombales vierges de toute inscription – pourtant, derrière eux, le reste du jardin n’a pas changé. Ce qu’ils contemplent là, c’est une autre dimension… Une dimension marquée, au loin, par la lueur d’une étoile rouge vif, malfaisante.

Helga prononce quelques paroles, appelant son époux; à ce moment, dans un crissement, une des pierres tombales se fend en deux. Irena, elle, sort l’un de ses sempiternels blocs de papier et un crayon, et demande à Jakob de se manifester par ce biais, s’il le peut. Le calepin est agité de légers soubressauts, en particulier quand l’Hermétiste regarde Helga; elle pose le calepin au milieu de leur petit cercle, et lorsque Helga le touche, quelque chose apparaît dessus: des coupures nettes, comme si quelqu’un tranchait, dans le papier même, les mots “HELGA, PARDONNE-MOI, IL ARRIVE”.

Lhop-Lhop

A cet instant, de forts bruits transpercent le silence. Les arbres au-delà du portail se tordent. Même si elle n’est pas visible, une gigantesque créature s’approche. C’est là qu'”il” apparaît: d’abord une patte énorme, sinueuse, verdâtre, aux muscles noueux faits de radicelles et de feuilles. Elle est suivie d’une autre patte, puis du reste du corps. Le “visage” de la créature arbore des yeux laiteux, sans émotion, et une longue et grosse trompe qui ne cesse de bouger. Une vibration traverse les trois mages, comme un brame tonitruant.

Helga parle à nouveau, l’implorant d’accepter de garder une partie de l’amulette d’Anubis, celle-là même récupérée dans la statue au musée. Lhop-Lhop recule d’un pas, émettant à nouveau un long brame silencieux. Helga lui tend la pierre en offrande; en retour, il étend son bras dans sa direction, et dans un sifflement, traverse les dimensions pour refermer ses doigts gluants sur la Verbena. Jan s’interpose, mais Helga le repousse. Elle demande à Lhop-Lhop s’il l’emmène voir Jakob; pas de réponse, sinon que la main de la créature commence à la soulever de terre, l’amenant à près de trois mètres au dessus du sol. Il est en train de la tirer vers le portail; ne sachant trop que faire, Jan et Irena se préparent à interrompre le rituel. C’est là qu’intervient Piotr: il leur révèle que Lhop-Lhop n’est pas l’Avatar de Jakob, qu’il n’est en fait même pas un Avatar (même si Jakob le croyait).

Inquiet, Jan essaye de contacter mentalement Lhop-Lhop, mais échoue, hurlant de souffrance. Helga continue de parler à la créature, qui arrête alors son mouvement, puis laisse échapper un long sifflement. Lentement, il déroule sa trompe, la laissant franchir les dimensions pour récupérer la pierre de ce long tentacule vert. Helga dit qu’un jour, elle en aura peut-être de nouveau besoin, et l’implore encore une fois Lhop-Lhop de consentir à être son gardien. Le géant végétal ramène alors le fragment d’amulette dans son propre monde, où il lui d’une lueur bleutée; la partie gauche de son corps s’entrouvre, et il y plonge la pierre. A la place, il en sort un autre objet, gluant de mucus (la plaie se referme alors), et le jette aux pieds des mages. Irena la nettoie rapidement de son mouchoir: cela ressemble à une pierre noire. Enfin, Lhop-Lhop repose Helga. Dans un dernier brame, il referme la statue sur lui d’un coup sec, et disparaît.

La situation se débloque?…

Le vent se remet à souffler, brutalement. La pluie vient tomber sur le jardin, et une des parois de la lanterne est maintenant brisée. Irena regarde de plus près l’objet laissé par Lhop-Lhop: il s’agit d’un instrument de musique qu’elle n’a jamais vu en Europe: un ocarina, de la taille d’un poing, légèrement aplati. Il ne semble pas magyque, mais il demeure malgré tout difficile de dire de quoi exactement il est fait. Helga, encore un peu secouée, le range dans sa besace, puis détruit ensuite les traces du rituel, et tous trois regagnent le manoir, dont Wilhelm leur ouvre la porte.

Wilhelm annonce à Helga que quelqu’un a téléphoné, demandant un certain “Monsieur Kotts”. Jan court se saisir du récepteur: c’est bien Rykov, qui veut lui poser quelques questions avant de prendre sa décision. Il exige notamment de savoir qui viendra avec lui, et pourquoi ils veulent prendre “son” train. Jan dit qu’il s’agit d’amis personnels ayant besoin de se rendre très vite dans la région de Targujiu, l’un des arrêts sur la ligne de l’Orient-Express, et qu’ils, ou plutôt elles, se nomment Helga et Irena. Il assure une fois encore le secrétaire d’Etat qu’il ne désire aucune autre compensation.

Rykov n’accepte pas encore, mais lui donne rendez-vous le 4 décembre en gare de Vienne pour y négocier un éventuel accord. Jan acquiesce et raccroche, avant de se tourner vers ses amis. Les yeux du monde russe vont maintenant être braqués sur eux trois… et l’enjeu est d’autant plus préoccupant que depuis 1917, il n’y a plus eu aucune nouvelle des Traditionalistes installés dans ce qui est devenu l’URSS, gangréné par la Technocratie…