Orpheus Ex Machina

Si l’on se réveille, c’est bien que l’on est encore en vie?…

C’est au Palais Melvany que l’on retrouve nos amis, en ce jour du 21 novembre 1927, après une bonne nuit de sommeil — ou plutot, une matinée, puisqu’il était bien six heures lorsqu’ils sont revenus du Simmerholdt, où Wilhelm est passé les prendre en berline suite à un appel téléphonique de Jan. L’après-midi touche presque à sa fin lorsqu’un par un, nos trois mages quittent leurs chambres respectives afin de se retrouver au petit salon.

Helga et Irena, qui se sont croisées dans le couloir, s’en vont tout d’abord voir comment va Francesca; la pauvre femme dort encore, épuisée par ses épreuves, et les deux amies se retirent sans la déranger, attirées de plus par un curieux bruit en provenance du salon. Personne ne s’y trouve, mais la théière posée sur la table a été renversée, et la porte de la cuisine est encore entrouverte. Levant les yeux au ciel, Helga s’empresse d’aller voir ce qui se passe, et retire bientôt Frère Piotr du garde-manger, le museau encore tout couvert de miettes de brioche.

D’autres sons ne tardent pas à frapper Irena, qui se trouve encore dans le salon. Lorsqu’elle va voir à la fenêtre, elle aperçoit Jan dans le jardin — un Jan qui semble se battre, bien qu’aucun adversaire ne se trouve face à lui. Helga non plus ne distingue aucun opposant. Encore échaudées par la récente possession dont avait été victime l’Akashite, les deux femmes, ne sachant trop que faire, sortent à leur tour sous la neige, et se concertent un instant du regard avant de tenter de dissiper ce qui semble bien être une illusion, unissant leurs talents comme elles l’ont fait la veille sous le pont. C’est un Jan passablement énervé qui vient alors vers elle: il semblerait que cette illusion n’ait été en fait que son oeuvre à lui, dans le but de s’entraîner. Ce malentendu laisse les trois mages dans un état quelque peu irrité, mais le calme revient bientôt, devant le petit-déjeuner certes tardif apporté par Wilhelm.

La demeure incendiée

Leurs idées quelques peu éclaircies par rapport aux événements de la veille, nos amis décident pour commencer d’essayer de contacter Hector, afin de savoir ce qui s’est exactement passé durant la nuit au centre-ville. Jan exprime également le souhait de se rendre au Rotenbuschel, l’auberge du quartier de Neubau où il avait loué sa chambre, afin d’y récupérer ses affaires. Piotr, attirant Helga dans la bibliothèque afin d’y prendre un ouvrage pour communiquer, parvient à faire savoir à sa maîtresse qu’il pourrait peut-être l’aider à retrouver la Goule. (C’est suite à cet épisode, d’ailleurs, qu’Irena a confectionné un petit abécédaire à accrocher au cou du Familier, de façon à ce qu’il puisse communiquer sans avoir toujours besoin de trouver un ouvrage pour y montrer des lettres.) Wilhelm s’étant entre temps endormi au chevet de Francesca, lui aussi épuisé par la longue nuit précédente, c’est Jan qui se charge d’atteler les chevaux et de prendre les rênes pour que tous trois puissent se rendre dans le quartier du bâtiment brûlé.

Devant le bâtiment en question, Helga avoue son ignorance quant à ce qu’il abritait, mais elle peut affirmer que ce n’était pas un lieu public. Aux alentours patrouillent quelques policiers, et Jan leur demande ce qui s’est passé et quel était ce bâtiment, très vite appuyé par Helga, qui fait jouer son titre de noblesse. Il en ressort que l’incendie, qui heureusement n’a pas fait de victime (aucun corps n’a été retrouvé, du moins…), était très clairement d’origine criminelle. La maison — le Catzhall — appartient à un riche collectionneur de livres anciens, un Hongrois, qui serait en bons termes avec le conservateur de l’Académie des Beaux-Arts. Les policiers n’en savent pas plus pour le moment sur l’identité de ceux qui ont perpétré cet attentat, mais ils soupçonnent “un groupe anarchiste, de tendances gauchistes, qui se serait également attaqué la veille au parc du Prater”.

Un inconnu menaçant

Les trois amis ne s’attardent pas et repartent. Arrivés au palais de Justice, dans l’avenue voisine, un croassement de corbeau s’élève soudain, en provenance de la demeure laissée derrière eux. Jan décide d’avancer encore un peu, car depuis ce croassement, Piotr semble mal à l’aise. L’Akashite arrête ensuite la berline, et propose de tenter un contact mental sur Hector, afin de ne pas risquer de rencontre directe avec les vampires, et peut-être de lui donner rendez-vous au Simmerholdt. Au moment où il expose son projet, une haute silhouette s’avance à pas rapides vers le véhicule, se coulant dans les ombres le long des façades des maisons. L’homme, portant une casquette à lourde visière et des bottes de marche, essaie visiblement de rester discret et d’étouffer le bruit de ses pas. Il s’arrête près de la portière du côté de Helga, et fixe Jan du regard; une barbe de plusieurs jours mange son visage de type aryen, carré, au nez cassé. C’est avec un sourire presque menaçant qu’il salue l’Akashite, et demande ce qu’il fait là.

L’impression de malaise se fait de plus en plus tangible en la présence de cet homme, qui paraît décidément trop sûr de lui. Coupant court à toute discussion, Helga se penche alors à la fenêtre, lui donne son nom — qu’il reconnaît immédiatement — et se contente de lui faire savoir qu'”on pourra la trouver toute la soirée au Rotenbuschel”. Elle fait ensuite signe à Jan de repartir. L’homme ne bouge pas, mais suit la berline du regard alors que celle-ci s’éloigne.

Au Rotenbuschel

Le Rotenbuschel est une auberge populaire, discrète et correcte, bien que sans aucun luxe. Helga et Irena entrent les premières dans le vestibule tendu de rideaux ambrés, où leur parviennent déjà les sons d’une flûte et de tambourins en provenance de la grande salle. Leur arrivée n’est pas sans provoquer quelques remarques et haussements de sourcils, au vu de leurs toilettes un peu plus habillées que celles de la moyenne des gens qui fréquentent l’endroit. Lorsque Jan les rejoint, après s’être occupé de confier les chevaux au soin du palefrenier, tous trois s’installent à une table isolée, dans un coin; à l’exception d’un ivrogne endormi, il ne se trouve personne aux alentours.

Jan se dirige ensuite vers le comptoir afin de régler ses dettes. Toutefois, un problème se fait bien vite jour: apparemment, l’Akashite aurait perdu sa chambre, et impossible de convaincre l’aubergiste de lui rendre ses affaires. Passablement courroucé, il revient s’attabler auprès de ses compagnes pour commander le dîner, tandis qu’Irena étudie calmement la salle, à la recherche d’éventuelles perturbations entropiques. En effet, un grand homme aux épaules carrées, lui aussi de type aryen, enveloppé dans une pèlerine, se détache bientôt du lot, mais à peine a-t-il croisé le regard de l’Hermétiste qu’il se lève et gagne immédiatement la sortie. Irena fait signe à Jan, qui le reconnaît: il s’agit de l’un des gardes du corps qui se trouvait en compagnie de Van Ruprecht au Stefansdom, deux jours auparavant.

Toujours aux aguets, se demandant si d’autres gens encore les surveillent, les trois mages baissent la voix pour mener leur discussion. Jan interroge Irena quant à l’existence d’artefacts réputés rendre la vie; l’Hermétiste se souvient là entre autres du Saint Graal et du chaudron de Dagda, ou peut-être aussi de la mythique pierre philosophale. Se pourrait-il que le rituel mis en place la veille sous le Riesenrad ait eu pour but de ramener dans ce monde Mateus, le père ténébreux de Fyodor? Rien n’est moins sûr, mais nos trois amis ne peuvent s’empêcher de garder à l’esprit qu’eux et Francesca ont tout de même bien failli être des sacrifices.

Les affaires de Jan

Au bout d’un long moment, l’aubergiste vient enfin à la table, suivi de son fils qui porte le sac laissé par Jan dans sa chambre. Il explique qu’il a dû bien malheureusement céder à un autre client l’une des possessions de Jan: une longue-vue, à laquelle il tient beaucoup, puisqu’il s’agit d’un présent de son maître, capable d’amplifier ses perceptions. De plus, il manque une partie de l’argent remis à l’Akashite par Cassandra Dummy. Jan exigeant de savoir ce qui s’est passé, il en ressort que l’aubergiste a en fait perdu cet objet au jeu contre un certain Friedrich Stölz, un artisan verrier du quartier, doué mais caractériel. Helga menace alors de révéler aux hautes instances de la ville que l’on s’adonne au jeu — une pratique interdite par la loi — dans l’établissement, ce qui produit son petit effet sur l’aubergiste, qui se voit placé au pied du mur: soit il amène ce client ici pour discuter, soit Madame Melvany fait fermer son établissement. Irena, elle, commence à s’inquiéter de la présence à proximité de l’ivrogne, car quelque chose d’anormal semble entourer cet homme, même si la Verbena a pu confirmer auparavant qu’il dormait véritablement.

A cet instant, des éclats de voix s’élèvent depuis une autre partie de la salle. Profitant de ce tumulte, Helga s’approche de l’ivrogne. Jan en effet est quelque peu troublé: il serait tout à fait possible qu’une tierce personne “écoute” la conversation par le biais de cet esprit endormi. Mais la Verbena ne peut que s’assurer une fois de plus que le sommeil de l’inconnu est bien réel. Au passage, elle distingue sous son coude un journal, “Das klein Blatt”, arborant sur sa première page un article concernant le “double attentat au coeur de Vienne”.